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« (extrait de la préface de Celia Izoard) « (...), les luddites ne refusaient pas la technique. D'une certaine manière, ils avaient le sentiment de l'incarner. Car à l'aube du XIXe siècle, on assiste, comme le dit Lewis Mumford, à un « appauvrissement de la question technique » (Le mythe de la machine, tome II, pp. 177-184). Avec l'avènement du mythe de la machine, la question tend à devenir essentiellement matérialiste, la technique s'identifiant avec l'objet-machine. Au terme d'un renversement de perspective, les compétences sont transférées de l'ouvrier ou de l'artisan à la machine, dont les paramètres vont totalement déterminer la forme de la production : quantité produite, nature et qualité de l'objet, jusqu'à la position physique de l'ouvrier et le rythme de son travail. Le tisserand qui utilise un métier à bras, le tondeur de drap ou le bonnetier qui travaille à la main sont dépossédés de la production, en tant qu'elle est liée à un savoir-faire individuel.
C'est tout simplement la signification du travail qui leur est confisquée. Aussi les luddites considèrent-ils qu'il est légitime de détruire la machine et les produits fabriqués par elle au nom même de la technique - la technique, c'est eux. Comme il est dit dans une pétition, «cette part précieuse du peuple que sont les TISSERANDS DE COTON» est garante du métier, c'est-à-dire de la transmission de l'expérience et de la qualité des objets produits. Ce n'est donc pas en premier lieu parce que les machines les mettent au chômage que les travailleurs deviennent étrangers à la production. Ce n'est pas non plus principalement parce que la relative autonomie qu'ils ont parfois connue en tant qu'artisans est remplacée par l'asservissement salarial. Si les machines industrielles rendent les ouvriers étrangers à la production, c'est parce que les machines de l'usine sont essentiellement conçues pour faire d'eux leurs exécutants, privés de pensée et de parole. Pour les luddites, l'aliénation est d'abord là, dans la matérialisation de la technique, dans la destitution de l'expérience, dans l'évacuation des hommes. A quoi ressemble un monde où le travail du plus grand nombre consiste à s'adapter à la machine et à la seconder? Nous commençons à le savoir.
Que la question technique repose tout entière sur l'avancée de la performance matérielle, que le travail soit coupé de l'expérience, que le métier devienne «emploi», voilà qui est emblématique de ce que l'on peut appeler «technologie», et qui naît précisèment sous la forme qu'on lui connaît au moment de la révolution industrielle. La technologie, c'est la technique libérée par les hommes de toutes les forces qui avaient prévalu jusque-là : traditions, institutions, lois ou moeurs. Technique livrée à elle-même et livrant les sociétés à ses critères, ses échelles et ses rythmes. Pour la plupart des activités, la révolution industrielle signifie la liquidation du système médiéval de la corporation : lois sur l'apprentissage, réglementation de la qualité des produits, etc. Mais plus généralement, elle signifie un bouleversement constant des modes de vie, des lois et des règles morales, que le développement de la technique autonomisée contraint à une mise à jour constante. Comme le montre Sale, la révolution industrielle n'est pas qu'une transformation rapide des techniques, c'est un changement idéologique et culturel radical. Tout doit s'effacer devant le développement des sciences et des technologies, moteurs de la nouvelle économie érigée en nécessité de l'histoire. Ce n'est donc qu'à partir de la révolution industrielle que l'évolution technique devient technologie, c'est-à-dire qu'elle est considérée comme quelque chose d'indépendant des décisions individuelles, et que l'on commence à dire, de manière tout à fait complaisante, que les outils techniques cont «neutres» ou «ambivalents». En conséquence, le domaine proprement politique, domaine de ce que les individus sont capables de faire collectivement pour décider de l'avenir - en particulier des choix technologiques - se réduit comme une peau de chagrin. En fait, à partir de ce moment-là, le politique, considérant l'évolution technique des moyens de production comme inéluctable, se concentre sur les moyens de la favoriser et sur la question des prétendues «richesses» qui en découlent.
La production n'a plus besoin de l'homme en tant qu'il est adapté à la machine, qu'il devient la «machine animale». L'histoire n'a plus besoin des êtres humains, régie par le processus du développement technologique. Il s'agit bien de la création d'un monde où les humains se sont donné les moyens de rendre l'humanité, telle qu'on l'avait connue jusque-là, superflue, obsolète et surnuméraire. A bien des égards, la révolution industrielle marque le début de la civilisation dans laquelle nous vivons, ancrée dans ce paradoxe : le changement y est régi par une technologie que tous regardent comme irrésistible, hors de portée des actions humaines. Pourtant, cette nécessité historique a une histoire. L'épisode luddite suffit à démontrer que cette révolution ne s'est pas faite toute seule, que toute une série de décisions, de lois, de réformes, ont accompagné l'adhésion des élites à cette nouvelle idéologie. A commencer par la démonstration de force étatique qui servit à mater les briseurs de machines en Angleterre, en France et en Allemagne. » »

Kirkpatrick Sale, La révolte luddite, Paris, 2006, page 7-10




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